La C-36 française: Le début de la guerre () ()


Page d'accueil
La page d'accueil de la C-36
  • 1. Introduction
  • 2. Fonctionnement
  • 3. La période de l'avant-guerre
  • 4. Le début de la guerre
  • 5. Vichy
  • 6. La France et les Alliès
  • 7. La période de l'après-guerre
  • 8. Conclusion
  • Annexes

4.1 Contexte historique

Après le début de l'envahissement de la Pologne, la France et l’Angleterre (leurs alliés) déclarent la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939. Si on met de coté la compagne de Norvège, chaque camp reste tranquillement derrière ses défenses: la France et l’Angleterre derrière la ligne Maginot et les allemands derrière la ligne Siegried. Durant cette période "calme", (la drôle de guerre) le réarmement s’accélère.

L'offensive allemande débute le 10 mai 1940. Après une succession de reculs des armées britannique, française et belge, les allemands conquièrent le nord de la France. Le gouvernement de Pétain, accepte le 22 juin la défaite et signe l’armistice avec les allemands. L'armée britannique réfugiée prés de Dunkerque réussi à s'échapper pour rejoindre l’Angleterre grâce à une armada improvisée (Opération Dynamo).

4.2 Le chiffrement français – la mise en service tardif de la C-36

4.2.1 Le début de la guerre – La C-36 est absente

Au début de la Guerre, l'armée française est équipée d'une multitude de moyens de chiffrement (Ribardeau-Dumas 1976, Bouchaudy 2019).

Au niveau le plus haut (secrétariat à la Guerre, armée et corps d'armée), la machine B-211 règne en maître.

Au niveau de l'armée, le système de transposition manuel à diagonales SD23 [1] (qui dérive d'un système existant déjà durant la 1ere guerre mondiale) sert de système de remplacement et de secours de la B-211. Il existe aussi le code sur-chiffrée RA à 5 chiffres.

Au niveau des corps d'armée et des divisions, un code sur-chiffrée à 4 chiffres est utilisée. La version 69 est mise en service le 1er mars 1939 et remplace le code 68. Dans les petits échelons (Bataillons, régiments), on utilise les carnets de chiffrement série F.C. à 3 chiffres.

Les archives du SHD de l'époque du début de la guerre (1939 jusqu'à avril 1940) ne mentionnent jamais la C-36. La B-211 ou les autres moyens de chiffrement sont par contre mentionnés plusieurs fois.

Il est certain que l'armée française disposait à l'époque de C-36. Sans doute il n'y en avait pas suffisamment pour un usage opérationnel et qu'elle était mise en réserve en vue d'un déploiement ultérieur.

Note de bas de page:
[1] Ce système est aussi appelé Système 1923 D, D pour diagonale et 1923 car il a été publié en 1923. SD signifiant « Sans Dictionnaire », c’est à dire que c’est un procédé manuel qui ne nécessite qu’un papier et un crayon.

4.2.2 La campagne de France – La C-36 est utilisée sur les théâtres guerriers

Un peu avant la campagne de France, la C-36 est mise en service. Un document de mars 1940 précise cette mise en service prochaine (SHD-32N431 1940) :

    IIIème Armée - État-major - 2° Bureau [1] - SECRET - QG [2], le  Mars 1940. 
    Note de service

    I - Par DM n° 8.15.802 - CH/EMA en date du 13 mars 1940, le ministère a décidé de 
    mettre en service:
    1) La machine à chiffrer type C-36 (provisoirement dans les EM de CA, de DI, d’ID 
       et AD) [3].
    2) Le carnet de chiffrement série JD à l'usage des petites unités qui remplacera 
       le carnet de chiffrement série FC actuellement en service.

    II - La livraison de ces machines et carnets aux différentes grandes unités de 
    l'armée occupant un secteur a été faite directement au siège de chaque corps 
    d'armée par les soins de la section du chiffre de la IIIème armée.

    III - En ce qui concerne les grandes unités en réserve de GQG [4] de corps 
    d'armée ou d'armée, la distribution aura lieu, en raison de leur dispersion, à la 
    Section du Chiffre de la IIIème armée le samedi 30 mars 1940; les destinataires 
    de la présente note voudront bien prendre toutes disposition utiles pour envoyer 
    au jour indiqué leur officier spécialiste du chiffre ou son remplaçant, prendre 
    livraison du matériel dont il s'agit. Il est indiqué que le poids du matériel à 
    transposer ne dépasse pas 20 Kg [5].

    Le général d'armée CONDE, commandant la IIIème armée, PO [6] le chef 
    d'état-major. 
    Destinataires: Le général cdt le 21°CA, le général cdt le 6°DI, le général 
    cdt [7] le 42°DI, le général cdt le 6°DIC, le général cdt le 20°DI. 
Un autre document daté du 1er avril précise que les unités qui ont été doté en C36 et des documents associés doivent attendre un ordre du GQG qui précisera le jour à partir duquel celle-ci doit être mise en service (cf.
4.3.1).

A partir de mars, les unités sont dotées (SHD-GR28N51 1940) :

    Traduction d'une télégramme chiffré parvenu au Groupe d'Armées N°3 
    le 8 mars 1940.
    Expéditeur : ANTINEA [9] - Pour l'officier du Chiffre -  Fonctionnement 
    normal des deux machines reçues le 7 mars.
La mise en service de la C-36 pris du temps. Pour les unités qui n’étaient pas en contact direct avec l’ennemi, la mise en service eu lieu plus tard, par exemple en Afrique du nord (SHD-32N329 1940) :
    19 mai 1940 – 84e division d’infanterie. Monsieur le général de corps 
    d’armée commandant les Fronts Tunisiens – État-Major - 2e bureau.
    J’ai l’honneur de vous accuser réception … de l’instruction relative 
    à la mise en service des machines à chiffrer C-36...
Note: Peut-être que les livraisons et la mise en service de la C-36 consécutives fut interrompus par l’armistice. Peut-être qu’une partie des C-36 commandées par l’armée française n’a été ni fabriquée, ni livrées et donc certaines unités ont pu ne pas en être dotés.

Dans les archives concernant l'armée de l'air, aucun document ne site la C-36. D'autres systèmes sont explicitement cités: machine B-211, codes sur-chiffrés AM, J2, codes de condensation et de chiffrement série F, .... On peut en conclure que (jusqu'à preuve du contraire) seule l'armée de terre était pourvue de C-36. La marine, elle, utilisait la C-37, relative proche de la C-36 mais chiffrait des bigrammes.

Contrairement aux américains, le service du Chiffre est séparé du service de transmission. Voici donc la procédure de l'envoi de message [10]:

  1. Réception par le Service du Chiffre du message de l'autorité (c'est elle qui décide de chiffrer ou non).
  2. Démarquage (utilisation d'abréviations, placement des espaces, ...) [11].
  3. Chiffrement ( mise à la clé par un officier (clé interne), choix de la clé par l'opérateur (clé de message, – ).
  4. Ajout de la date, du nombre de groupes et des indicateurs (par l’opérateur).
  5. Le Chiffre donne le message aux transmissions [12].

Notes de bas de page:

  • [1] Le 2ième bureau de l'État-Major de l'armée correspondait au service de renseignement. Le Bureau du Chiffre dépend de ce 2e Bureau. De l'EMA à la Division, chaque unité militaire dispose d'un Deuxième Bureau.
  • [2] QG: “Quartier Général”.
  • [3] Abréviations : EM : états-major, CA : corps d’armée, DI: division d’infanterie, ID : infanterie divisionnaire, AD : artillerie divisionnaire. Les ID et AD sont des formations qui font partie d’une division.
  • [4] GQG: “Grand Quartier Général”.
  • [5] Une C-36 pèse presque 2.5 kg, les paquets de 20 kg contiennent donc 8 machines.
  • [6] PO est l'abréviation de "Pour Ordre".
  • [7] Cdt: “Commandant”.
  • [8] DIC: Division d’infanterie coloniale.
  • [9] Le nom de code ANTINEA correspond à une armée car le nom commence par la lettre A. Ce code correspond soit à l'armée 6 ou 8 qui composaient le groupe d’armée n°3.
  • [10] A l'époque où l'armée française combattait aux côtés des Américains (de 1943 à 1945), ces derniers ont fortement insisté sur le fait que Le Bureau du Chiffre et le service des transmissions fusionnent. Néanmoins, les Français ont quant même conservés toujours ces deux entités sauf pendant la campagne d'Italie.
  • [11] En anglais, “Démarquage” est appelé "Drafting".
  • [12] En France, le service du chiffre est souvent appelé « le Chiffre ».

4.2.3. L’utilisation des moyens de chiffrement en fin de la campagne

La guerre a montré que l’usage des machines à chiffrer est un réel progrès. Partout où le choix est possible, ce sont toujours les machines qui sont systématiquement utilisées. Ainsi au GQG du groupe d’armée n°3, la totalité (ou presque) des messages sont chiffrés avec la B-211.

A partir de fin mai, l’armée française est en grande difficulté. Le service du chiffre crains une compromission de ses moyens de chiffrement de haut niveau, c’est à dire le code RA et les machines B-211 [1],|2]. L’État-major craint même que l’ennemi pourrait envoyer de faux messages chiffrés. Le système de secours, le SD23 est utilisé alors en remplacement (SHD-GR28N51):

    Traduction d'un télégramme chiffré parvenu au Groupe d'armées n°3 le 21 mai 1940.
    Expéditeur : ANNIBAL [3] - Pour Officier du Chiffre:
    ... Les télégrammes transmis par radio au G.Q.G et présentant un caractère 
    particulièrement secret seront chiffrés en système 1923 diagonale avec la clé:
    "Commandant JOUBERT des OUCHES" soit longueur 26 lettres, matricules 18 ou 92 [4].
    ... Faire des télégrammes d'un maximum de 40 groupes. Accuser réception du présent
    télégramme dans le système convenu.
A partir du 16 mai, le GQG Air cesse d’utiliser la B-211. A partir du 8 juin, le GQG annonce que l’utilisation du SD23 peut-être utilisé si il y a un doute sur les clés de la B-211. A partir du 9 juin, la VII armée demande de ne plus communiquer avec elle qu’avec le SD23. A partir du 15 juin, le groupe d’armées n°4 précise que ses machines sont inutilisables (sans doute détruites) et n’accepte plus que des messages chiffrés en SD23 [5].

A partir du 15 mai 1940, le code RA n’est plus utilisé que sur liaison filaire et à partir du 21 mai il est retiré du service, les exemplaires de ce code sont soit incinérés soit remis à l’EMA. Il ne sera plus utilisé ultérieurement. La B-211, elle, sera profondément modifiée (cf. 5.2).

Notes de pied de page:

  • [1] De manière concrète, on crains la capture de machine à la clé du jour ou pire la capture des clés ainsi que du code RA et de ses clés de surchiffrement.
  • [2] Dans le cas de l’utilisation d’une machine, les messages provenant des archives contiennent au dos les bandes d’impression. Sans contexte c’est la B-211 qui est utilisée. Notamment des chiffres sont présents et la forme des caractères est celle de cette machine.
  • [3] ANNIBAL correspond au Général Georges, commandant en chef du front Nord-Est (cf. 4.3.2).
  • [4] Les messages chiffrés grâce au système SD23 étaient précédés par un indicateur numérique contenant l'identifiant de la clé.
  • [5] Les procédures d’utilisation du SD23 sont complexes, du fait de la limitation de la taille d’un message dans ce système, les messages doivent être très fréquemment découpés en plusieurs parties. Du fait de ces découpages et du fait que le chiffrement est manuel, les temps de chiffrement sont rallongés.

4.3 L’utilisation de la machine

4.3.1 Dotation – Équipement fourni, nombre de machines

Un document daté du 1er avril, précise la dotation en machine à chiffrer d’une des divisions de la IIIème Armée (SHD-32N431 1940). Le détail des ustensiles composant une C-36 est précisée ainsi que les documents fournies comme les notices d’emploi et de mise à la clé. On apprend également que la C-36 est considéré comme le moyen normal de chiffrement dans le dialogue entre une division et ses composantes (unités divisionnaires).

    IIe Armée - 2° Bureau - EM ... - Chiffre - N°xxx [1] - PC [2], le 1er 
    Avril 1940 Le général Chaulard commandant provisoirement la 6°DIC à 
    Monsieur le Colonel Commandant  l'IDC/6.

    BORDEREAU D'ENVOI
    - La machine à chiffrer type C-36 N°5634 à 35... 2 (exemplaires).
    Chaque machine comprend: deux clés plates n°601-1, un tube porte-tampons (
    encreurs), une burette d'huile, une pince plate et deux rouleaux de papier 
    de réserve (en plus du rouleau en place).
    - Une courroie de transport .... 2 (exemplaires).
    - L'instruction pour l'emploi de la machine [3] – N°13311 CH/EMA du 19 
    Janvier 1937 .... 2 (exemplaires).
    - Notice secrète N°5 .15169 CH/EMA du 21 Février 1940 concernant les éléments 
    secrets intérieurs de la machine, la clé de départ et le conditionnement des 
    télégrammes. Exemplaire N°159.... 1 (exemplaire).
    - L'instruction N°15470 CH/EMA du 21 Février 1940 relative à la mise en 
    service des machines à chiffrer C-36. Exemplaire N°159 .... 1 (exemplaire).

    La date de la mise en service de la machine à chiffrer type C-36 sera indiqué 
    ultérieurement, ainsi que les positions à donner aux éléments secrets 
    intérieurs de la machine.
    La machine type C-36 constituera le procédé normal de chiffrement de l'IDC/6 
    avec la DIC et l'ADC. Le Code 69 et le système de transposition 1923D devront 
    être considéré comme des procédés de secours.

    Pour ses relations avec le Génie divisionnaire et les régiments d'Infanterie 
    et d'Artillerie, qui ne sont pas dotés jusqu’ici de machine à chiffrer, l'IDC 
    continuera d'utiliser le Code 69 comme procédé normal de chiffrement.
    L'attention de l'officier chargé du service du chiffre et de son remplaçant 
    sera attirée particulièrement sur l'instruction n°15470 CH/... sur le chapitre 
    III de cette instruction (Conservation du secret).
Remarque: on le constate, contrairement à la M-209, la C-36 ne dispose pas de sac de transport.

Un des documents précise que la technique de chiffrement des nombres par la C-36 est décrite dans un manuel à part: Note 32344 CH/FP du 29 avril (SHD-32N431 1940). On aurait pu penser que le chiffrement des nombres soit inclus tout simplement dans la notice d’emploi.

Le document suivant correspond à un inventaire des C-36 au sein d’une division (la 6°DIC) en juin 1940 (SHD-32N431 1940).

     IIe Armée - 2°Bureau - ... SECRET -  PC, le 1er Juin 1940...
     INVENTAIRE DES MACHINES A CHIFFRER (Type C-36)
     Numéro		Détenteurs
     N°5-632 		EM - DIC
     N°5-633		d°
     N°5-634		IDC/6 (EM)
     N°5-635		d°
     N°5-636		ADC/6 (EM)
     N°5-637		d°

     Toutes les machines comprenant 2 clefs plates n°601, 1 tube porte-tampons, 
     1 burette à huile, 1 pince plate, 2 rouleau de papier de réserve et sont 
     en parfait état de marche.
     Le général de division CARLES commandant la 6°DIC PO le Chef d'Etat-major.
En supposant que cet inventaire, composé de six machines, est représentatif de l’équipement d’une division, on peut estimer le nombre de C-36 en service en Juin 1940 où l’armée française alignait 100 divisions : 6x100 = 600 machines. Il faut aussi ajouter plusieurs dizaines ou centaines de machines équipant les unités supérieures (corps d’armée et armées). Il faut aussi ajouter plusieurs dizaines ou centaines de machines pour constituer des réserves. On arrive à un nombre proche de 1000 machines.

Notes de pied de pages:

  • [1] Le nombre est illisible.
  • [2] PC: “Poste de commandement”.
  • [3] La notice d'emploi de la machine n'a pas pu être trouvée dans les archives du SHD. Si un des surfeur de cette page Web disposait de ce document et le publiait j’en serai très heureux.
  • [4] Nous rappelons qu’il avait été prévu 30 machines par division.

4.3.2 Préparation des messages – Le démarquage

Avant de chiffrer un message, le chiffreur le modifie principalement pour le raccourcir. Cette opération est appelé le démarquage.

Le démarquage est décrit dans un document dont voici quelques extraits (SHD-1P136 1942) :

    Note relative à l'emploi des abréviations pour l'établissement des 
    chiffrements à l'aide de la machine à chiffrer C.36"  - N°S 2120 CH/FT 
    - 15 avril 1940 – GQG – 2ième bureau – section du chiffre. ...

    Certaines abréviations devront être connues par cœur:
    BTN Bataillon          PRA Praticable	
    CAV	Cavalerie          RAS Rien à signaliser	
    DIR	Direction          RCN Reconnaître
    ENI	Ennemi             REN Renseigner sur
    ESC	Escadron           RGT Régiment
    GAU	Gauche,à gauche    RIV Rivière
    HEU	Heure              ROU Route
    KLM	Kilomètre          SIG Signaler
    MET	Mètre              SOR Sortie
    MIT	Mitrailleuse       STA Station
    NID	Nid de résistance  TEN Tenir
    OFI	Officier           TRL Transversale
    PAT	Patrouille         ULT Ultérieurement
    PEL	Peloton            VIL Village
    ...
    Il est conseillé aussi d'utiliser les abréviations usuelles, telles que
    CIE	Compagnie
    OCT	Octobre
    ST	Saint
    ...
    Exemple:
    Le corps de cavalerie demande pour la journée du 12 Décembre crédit de 
    mouvement de dix heures sur l'itinéraire AMIENS SAINT-JUST-LE-GRAND

    CORPS CAV DEMANDE POUR 12 DEC CREDIT MOV DIX HEU SUR ITI AMIENS ST JUST 
    LE GD

    ATTENTION: "Le souci du condensé ne devra pas d'autre part entraîner 
    une perte de temps et à ne pas composer des textes incompréhensibles".
    ...
    VII – Une bonne méthode de travail consistera pour l'instruction du 
    début à pointer au crayon rouge sur le Répertoire de condensation, les 
    mots et expressions employés avec la machine C-36 ..."
Le dernier paragraphe fait référence à des répertoires de condensation. Ce document d'environ une page ou deux comprend les abréviations les plus utilisées dans les transmissions (
Tant).

Indépendamment de ce démarquage, ceux qui rédigent des messages utilisaient des noms de codes pour notamment cacher les noms des unités et/ou des officiers supérieurs. Les noms de codes commençant par la lettre "A" correspondaient aux unités supérieurs jusqu'au niveau armée. Les noms de codes commençant par "B" correspondaient à des Corps d'Armée. Les noms de codes commençant par "C" correspondaient à des divisions, etc.

Voici les noms d'unité du front Nord-Est (SHD-10P386 1945) pour la période 5 mai 1940 :

     AURORE         GQG, Commandant en chef (Général Gamelin) 
     ARLESIENNE     Réserves du GQG: Xe armée (Général Altmayer)
     ANNIBAL        Commandant en chef du front Nord-Est 
	                (Général Georges)
     ALOUETTE       Groupe d'armées n°1 (Général Billotte)
     ANGELUS        Ie armée (Général Blanchard)
     ANGORA         IIe armée (Général Huntziger)
     AMPERE         Groupe d'armées n°2 (Général Prételat)
     AQUILON        IIIe armée (Général Condé)
     ARCHINARD      IVe armée (Général Requin)
     ARCHIDUC       Ve armée (Général Bourret)
     ANDROCLES      Groupe d'armées n°3 (Général Besson)
     AMILCAR        VIe armée (Général Touchon)
     ATLAS          VIIIe armée (Général Garchery)
     ARGONAUTE      VIIe armée (Général Giraud)
     ARISTOTE       IXe armée (Général Corap)

4.3.3 Distribution des clés

Les archives du SHD contiennent plusieurs bordereaux de remises de clés. En voici un exemple (SHD-32N431 1940):

    IIIème Armée - Etat-Major - 2° Bureau - N°96/2/CH - SECRET - QG, le 
    20 Avril 1940.

    Le Général d'Armée CONDE, Commandant la IIIème Armée à Monsieur le 
    général commandant la 6°DIC (Etat-Major 2°Bureau - Chiffre)

    BORDEREAU D'ENVOI

    1°/ Tableau "A" N°97/2 CH en date du 18 Avril 1940, relatif aux éléments 
    secrets intérieurs de la machine à chiffrer C-36 valable dans la zone de 
    la IIIème Armée à partir du 22 avril 1940 à zéro heure .... 3 (exemplaires)

    2°/ Tableau "B" N°98/2 CH en date du 18 Avril 1940, relatif à la clé de 
    départ de la machine à chiffrer C-36 valable dans la zone de la IIIème 
    Armée à partir du 22 Avril 1940 à zéro heure ........ 3 (exemplaires)

    3°/ Télégramme d'exercice N°99/2 CH en date du 18 Avril 1940 destiné à
    vérifier la mise à la clé de la machine à chiffrer C-36 ...... 3 (exemplaires)

    Double du présent bordereau à retourner d'urgence à la section du chiffre
    de la IIIème Armée, à titre d'accusé de réception.

    Observations: Documents à diffuser aux détenteurs de la machine à chiffrer
    C-36. Il reste entendu que ces tableaux A et B doivent être utilisés 
    exclusivement dans la zone de la IIIème Armée. L'unité qui en est détentrice 
    devra les incinérer lorsqu'elle passera dans la zone d'une autre Armée ou 
    dans la zone des Étapes du GQG; dans ce cas, de nouveaux tableaux lui seront 
    remis par la grande unité dont elle relèvera. ....
On le constate, les clés se composait au minimum de deux parties:

Certains bordereaux mentionnent également un tableau C qui correspondait à un télégramme d'exercice destiné à vérifier la mise à la clé. D'autres bordereaux ne le mentionne pas. On peut imaginer que dans ce cas, il était intégré au tableau A. Dans l'exemple précédent, on memtionne un télégramme d'exercice mais qui n'a pas l'appelation "Tableau C".

En inspectant plusieurs bordereaux d'envoi de clés, il a pu être déduit les éléments suivants:

Avant guerre, les différentes unités reçoivent une circulaire leur décrivant l'utilisation d'une clé spéciale, la clé "ZERO" qui est destinée à être utilisée en cas de mobilisation des troupes ou lors de la réception d'un télégramme indiquant la mise en service de la clé. Il semble qu’il y ait eu plusieurs de ces circulaires réactualisées en fonction des moyens disponibles. En effet, le document (SHD-7N4235 1940) « Introduction à la clé Zéro » du 27 janvier 2938 spécifie qu’il remplace l’exemplaire du 13 novembre 1937, ce dernier devant être incinéré.

Le document de janvier 1938 comprend notamment la mise à la clé des machines grands modèle (B-211) et petit modèle (C.36). La circulaire précise que la dotation des petites machines (C-36) commencera en cours de l'année 1938 et se poursuivra les années suivantes.

Note: comme il a été indiqué par ailleurs, aucun document (à part celui-ci) fait référence à la C-36 avant sa mise en service en avril 1940.

En début 1940 (avril à juin), une clé C-36 était valable à l'intérieur d'une armée et permettait le dialogue entre son état-major et les différents corps d'armée et divisions qui la compose. Il était stipulé que si une division était absorbée par une autre armée elle devait détruire ses clés et attendre d'en recevoir d'autres de sa nouvelle affectation [1].

Les clés étaient valables de une à plusieurs semaines, par exemple :

  • La clé 97 de la IIIième armée a été valable du 18 avril au 10 mai 1940, donc 22 jours (tableau A clé N°97/2CH et tableau B clé N°98/2CH).
  • La clé n°2224 de la II ième armée a été valable du 28 mai 1940 au 4 juin 1940, donc 7 jours,
  • La clé suivante n° 2734 de la IIième armée a été valable du 5 juin au 11 juin, donc 6 jours.
D'autre part, il était précisé que les chiffreurs devaient incinérer les anciennes clés 8 heures après la mise en service des nouvelles.

Les bordereaux rencontrés dans les archives normalement ne concernait que les clés pour la C-36 (tableaux A et B) destinées à une division. La figure 10 (SHD-32N431 1940) présente un autre type de bordereau qui correspond à l’ensemble des clés utilisées pour communiquer entre l’EM de l’armée et ses divisions: les clés C-36 mais aussi les clés de surchiffrement du code 69 et les clés de transpositions 1923 D et même les tableaux de substitution pour les code de service TSF (radio). On peut en déduire qu’il y avait au moins trois C-36 pour chaque EM d’armée.

En fin de la campagne de France, l’armée se délite et les failles de sécurité dues notamment aux captures supposés de machines et documents du chiffre inquiètent les autorités et les mesures de sécurité sont en conséquences renforcées (SHD-GR28N51):

    Traduction d'un télégramme chiffré parvenu au Groupe d'armées n°3 le 
    23 mai 1940. Expéditeur : ANNIBAL - Pour le Chiffre:
	
    1) Nécessaire de renforcer la sécurité du chiffrement en C.36.
    2) Prendre disposition pour changement quotidien de la lettre de calage.
    3) Adresser la liste des lettres de calage dans les mêmes conditions que les
    envois de clés. ... Télégramme retransmis à ARGONAUTE ET AMILCAR [4] ...

Notes de pied de page:
  • [1] Ce fut le cas par exemple pour la 6°DIC (Division d’infanterie coloniale) qui appartenait à la IIIème armée et qui fut incorporée à partir du 14 mai 1940 à la IIième armée en difficulté dans les Ardennes après la percée allemande.
  • [2] La définition de l'expression “lettre de calage” est donnée dans le paragraphe 6.3.5.4. En bref, cette lettre permet de déterminer le Slide.
  • [3] Si on recommande un changement quotidien de la lettre de calage on peut en déduire que ce n’était pas le cas précédemment. Peut-être la validité d’un calage correspondait à la durée de validité du reste de la clé, c’est à dire la configuration des ergots (Pins).
  • [4] ANNIBAL correspond au commandant en chef du front Nord-Est, c'est à dire le général Georges. ARGONAUTE correspond à la VII armée et AMILCAR à la VI armée (cf. 4.3.2).
Fig 1: Bordereau d'envoi des tableaux de clés A et B

4.3.4 Méthode indicateur

Dans un des bulletins de l'ARCSI (ARCSI 1978), un document très intéressant daté du 7 mai 1940 a été trouvé. C'était une lettre d'un officier du chiffre (son nom n’apparaît pas) qui critiquait la méthode indicateur utilisée en 1940. L'officier en conclusion proposait une nouvelle méthode. Dans sa critique il décrivait presque complètement la méthode en vigueur. Donnons la parole à cette officier:

    ... Vous avez reçu d'une manière si avenante mes suggestions que je me 
    permets de vous en soumettre une autre. Elle concerne les alphabets de 
    substitution pour les machines. Actuellement les colonnes sont les mêmes 
    pour les alphabets de B 211 et C 36. Seules changent les têtes de 
    colonne. De ce fait les groupes clefs ont une correspondance pour les 
    deux machines, c'est-à-dire qu'ils donnent une clef possible pour les 
    deux machines (ces deux clefs étant d'ailleurs différentes l'une de l'autre).

    Or, de fait, il arrive que les armées, envoyant un télégramme 
    circulaire à des C.A. et à des D.I. dépendant d'elles, utilisent à cette 
    fin la machine C 36. Le chiffreur du C.A. recevant son télégramme est donc 
    obligé :
    1°/ de sortir ses documents grande machine
    2°/ de sortir sa clef
    3°/ de la mettre sur la machine
    4°/ d'essayer quelques groupes
    Puis, devant un insuccès, de refaire la même chose avec la petite machine, 
    d'où une perte de temps qui semble inutile et pouvoir facilement être 
    évitée.

    Qu'à-t-on cherché en dotant les deux systèmes de caractéristiques 
    semblables ? A donner aux télégrammes sortant des deux machines des 
    « gueules » identiques. Mais il y a danger. Du fait de la multiplicité 
    des télégrammes, due à la mise en service de la petite machine, POUR 
    TOUTES LES armées, dans les groupes-clefs, une lettre d'un premier 
    groupe-clef aura pour correspondant dans le 2ème groupes 3 lettres 
    possibles qui seront toujours les mêmes. Si donc un cryptologue ennemi 
    ne pourra pas connaître les lettres choisies par le chiffreur, il pourra 
    du moins,
    - reconnaître l'emplacement des deux groupes-clefs,
    - reconstituer pour toutes les armées les alphabets de substitution....

De ce texte, on déduit beaucoup de choses. D'abord qu'une clé B.211 ou C.36 est valable pour une seule armée. Que seules les CA sont équipés de B.211 mais pas les divisions. Que les C-36 équipent les EM des armées, des CA et des divisions. On déduit aussi que l'indicateur est constitué de 2 groupes (10 lettres). La clé de message dérive d'un groupe de base qui est un groupe de 5 lettres qui est chiffrée une première fois avec un premier alphabet de substitution, ce qui donne le premier groupe indicateur. Le deuxième groupe ne sert qu'à faire une vérification, c'est le même groupe chiffré avec un deuxième alphabet de substitution. Le groupe étant composé uniquement de 5 lettres il peut correspondre directement à une clé de message C-36 mais pas à une clé B.211 dont la clé doit indiquer la position des 4 roues et des deux demi-rotors soit 6 lettres sauf si une même lettre configure plusieurs roues ou demi-rotor. La description de l'officier nous indique que la situation en fait est pire: Chaque lettre du groupe dont on déduit la clé est associée à trois lettres dans l'alphabet de substitution. Il n'y a donc que 10 lettres possibles (26 ~ 3x10) pour chaque lettre du groupe clé. Ceci réduit considérablement l'espace de clé. Par exemple pour la C-36 on peut imaginer que pour un tableau de clé on ait ABCDEKLMNO comme tête de colonne (c'est à dire les lettres du groupe clé). Une clé de message ne devra utiliser que ces lettres, par exemple NDKLE.

Dans les archives du SHD, une découverte inespérée a eu lieu: Un jeu complet de clé pour la B-211 daté du 25 octobre 1941 et qui comprenait un exemple de conditionnement (SHD-1P136 1942). Cet exemple de clé a permis de confirmer les déductions précédentes: Il y avait bien un groupe de base de 5 lettres qui était chiffré deux fois en utilisant pour le premier groupe indicateur un premier alphabet de substitution et pour le deuxième groupe indicateur un deuxième alphabet de substitution. Les lettres des alphabets de substitution étant réparties dans 10 colonnes de 2 ou 3 lettres. Les lettres ABCDEFGHIK (pour la B-211) faisant office de têtes de colonnes. La première et la dernière lettre du groupe de base correspondaient à la position (inversée) des deux demi-rotor. Enfin les quatre dernières lettres du groupe de base correspondant à la position des quatre roues clés. La première lettre ayant ainsi deux utilisations: positionner une roue clé et le deuxième demi-rotor. On rappelle que la position des roues clés, qui ont entre 17 et 23 secteurs est repérée par une lettre comprise entre A et Y (J et W étant omises [1]). En conclusion, toutes les clés de message possibles ne peuvent être choisies. On apprenait aussi que les deux groupes indicateurs étaient les deux premiers groupes du cryptogramme.

Ces documents permettent de reconstituer complètement la méthode utilisée jusqu'en Juin 1940 par contre ils ne disaient pas si cette méthode s'appliquait toujours à la C-36 après cette période. La table n°3 donne un exemple reconstitué à partir du tableau de clé authentique d'octobre 1941 .

Pour un message chiffré en B-211, supposons que la clé de message soit HDBACH (position des demi-rotors: HD, position des quatre roues clés: BACH), le groupe de base devient DBACH qui est chiffré avec les deux alphabets de substitution, on obtient par exemple l'indicateur suivant : GAUOK JZAGR (ou bien NFVBJ HUNCL, ...). Ces deux groupes sont ajoutés en début du cryptogramme.

La lettre du jeune officier de mai 1940 spécifie que les têtes de colonnes sont différentes dans le cas de la C.36. Supposons que les têtes soient ABCDEKLMNO pour la C-36 pour un tableau de clé spécifique. La clé de message NDKLE devient (avec les mêmes alphabets): SGZLQ MHTEX ou bien XNHIM ZJDKP. Comme dans le cas de la B211 cette méthode de camouflage de la clé de message ne permet pas d'utiliser une clé quelconque pour la C36 car il n'y a que 10 têtes de colonnes. Dans l'exemple précédant la clé FPQGQ ne peut pas être utilisée.

Table 3: Exemple d'alphabets de substitution du système indicateur de 1940

     -------------------------------
     : A: B: C: D: E: F: G: H: I: K: têtes de colonnes B-211
     : -: -: -: -: -: -: -: -: -: -:
     : A: B: C: D: E: K: L: M: N: O: têtes de colonnes C-36
     : -: -: -: -: -: -: -: -: -: -
     : U: A: O: G: Q: C: L: K: R: W:
     : V: F: B: N: D: H: I: J: S: T: 1er alphabet de substitution
     :  : P:  : E: M: Z:  : Y: X:  :
     : -: -: -: -: -: -: -: -: -: -:
     : A: Z: G: J: X: T: E: R: P: Q:
     : N: U: C: H: P: D: K: L: M: O: 2ième alphabet de substitution
     : Y: V: I:  : F: S:  : W: Z:  :
     -------------------------------

Note de pied de page:
[1] En fait la réalité est plus compliqué car la clé impliquait la position des 4 rotors car il s'agissait d'une B211 modifiée.

4.3.5 Autres procédures

Fréquemment des notes de service font des rappels à l’ordre sur la sécurité. Par exemple, la note du 15 mai 1940 émanant de la section du chiffre de la 6°DIC (SHD-32N431 1940):

     15 mai 1940 - Note de sécurité -  ... En particulier en ce qui concerne 
     les machines C36 il y a lieu de ne jamais placer dans le couvercle des 
     appareils, des renseignements touchant le conditionnement, et à fortiori, 
     relatifs à la confection des clefs.

Another document (SHD-GR28N51 1940) reminds the cipher clerk never to part with their C.36:

     Army Group N ° 3 - General Staff – 2e Bureau – Bureau du Chiffre 
     - Translation of a ciphered telegram received at GR/3 on May 28, 1940 
     at 4:40 p.m. - Sender: ARCOLE ... 
     For the cipher officer: Subject: Security. It was reported that in 
     some large units C.36 machines had been lost as a result of devices 
     being left during transport in baggage vans. This way of doing things 
     is absolutely to be avoided. C.36 machines are fitted with straps 
     allowing users to carry them on the shoulder strap. In any case, 
     their owners must not part with them. Telegram sent to interested 
     Army and Army Groups.
Un autre document (SHD-GR28N51 1940), rappelle aux chiffreurs de ne jamais se séparer de leur C.36 :
     Groupe d'armées N°3 - État-major - 2ème Bureau - Section du Chiffre - 
     Traduction d'un Télégramme chiffré parvenu au GR/3 le 28 mai 1940 à 
     16h40 - Expéditeur : ARCOLE ... Pour l'Officier du Chiffre: Objet: 
     Sécurité. Il a été signalé que dans certaines grandes unités des 
     machines C.36 avaient été égarées par suite du fait que des appareils 
     étaient déposés pendant des transports, dans des camionnettes à bagages. 
     Cette manière de faire est à proscrire absolument. Les machines C.36 
     sont dotées de courroies permettant aux usagers de les porter à la 
     bretelle. En aucun cas leurs détenteurs ne doivent s'en séparer. 
     Télégramme transmis aux Groupes d'armées et armées intéressés.
Un document datant de mai 1940 nous apprend comment était prévu la réparation des machines (SHD-32N329 1940) [1]:
     Les Cryptographes C.36 seront réparés: 
     - au 1er degré par les soins de leurs détenteurs.
     - au 2me degré par les soins du Général Cdt les Fronts Tunisiens.
     Des instructions ultérieures fixeront les réparations autorisées au 
     1er degré.
     En vue de constituer un atelier de réparation au 1er degré, M.M. les 
     commandants de G.U. détentrices des machines C.36 destinataires de la 
     présente note désigneront chacun un sous-officier ou caporal chef 
     qualifié, mécanicien de précision radio ou horloger de préférence.
     Les gradés en cause seront instruits au cours d'un stage à l'atelier 
     du second degré...

Note de bas de page:
[1] Le manuel de la C-36 n'a pas été trouvé. Dans le manuel de la C-36M2 (qui, on le suppose doit être très proche, cf.
7.3), les seules opérations autorisées par le détenteur d'une C-36 sont le remplacement du papier, le changement des tampons encreurs et le graissage (ou plutôt le huilage) de la machine.

4.3.6 Exemple de message (un texte clair)

Un message dactylographié (SHD-GR28N51 1940 ) daté de fin mai 1940 contenait avec certitude un message chiffré en C-36. En effet la bande de déchiffrement était collée au dos du message et contenaient des nombres codés en lettres.

     Message N°238/I. Expéditeur: ARLESIENNE. Destinataire: Groupe 
     d'armées n°3, Ier bureau. 31 mai 1940, 15h35.
     Répétition du télégramme n°30-21. Pertes du 29 mai: Officiers: 3, 
     Hommes: 146. Renseignement concernant seulement CANADIENS, DAPHNIS, 
     DAVOUST et FALCONNET.
Bande provenant de la machine collée au dos du message:
     REPETITION k DU k WQH k JO k PER k WFW k MAI k OFI k WE kk HOM k 
     WGRN k REN k CONCERNANT k SEULMMT k CANADIEN k DAPHNISLDAVOUT k 
     FALCONET k NO k WPQZ k SUR WO k

Remarques:

  • J'ai utilisé la lettre "k" pour mettre en évidence les espaces.
  • Le nom de code ARLESIENNE correspond (cf. Paragraphes précédents) à la Xième armée.
  • Les noms de codes CANADIEN, DAPHNIS, DAVOUT et FALCONET correspondent respectivement à la 13ième division d'infanterie métropolitaine, à la 5ième division coloniale, à la 7ième division coloniale et à la 2ième division légère de cavalerie (DLC).
  • Les nombres sont aisément déchiffrables si on accepte un slide de 3 (K=3): WQH JO = 30 21, WFW = 29, WE = 3, WGRN = 146, WPQZ sur WO = 238/1
  • La forme des caractères correspond à la C-36.
Ces deux derniers éléments confirment sans l'ombre d'un doute l'utilisation de la C36.

4.3.7 Le point de vue d’un membre du service du chiffre français

Cet article décrit la C-36 et son histoire et évidement ne peux susciter beaucoup d’émotions. Mais il ne faut pas oublier que cette machine fut utilisée en temps de guerre par des hommes qui ont vécu des moments dramatiques et dont certains sont morts en faisant leur service. Voici quelques extraits du journal du capitaine Raoul A. Lemennicier qui raconte ses souvenirs de guerre notamment la percée allemande de mai 1940. A cette époque il était le chef de la section du chiffre de la IX armée sous les ordres du général Corap qui a subit de plein fouet l’attaque allemande dans les Ardennes (Lemennicier 1996)

    (Octobre 1939)
    La vie est monotone, le travail ne l'est pas moins. Cette période de 
    guerre est peu différente du temps de paix. Les heures de bureau ne 
    changent pas. Fort heureusement mes fonctions m'appellent à faire des 
    inspections dans les grandes unités de l'armée. La réparation des 
    machines à chiffrer m'oblige à entreprendre quelques déplacements à 
    la Ferté sous Jouarre où se trouve mon chef le commandant Joubert des 
    Ouches (G.Q.G).

    (le 10 mai 1940) 
    La période calme a pris fin le 10 mai au premier matin. Rien ne faisait 
    prévoir l'attaque allemande. …

    (le 15 mai)
    Il n'est plus question de transporter l'E.M. de la 9 ème armée à Chimay 
    en Belgique comme l'ordre d'opérations l'avait prévu. A la section du 
    chiffre le travail est devenu accablant. 2 officiers assurent la 
    permanence de jour et de nuit. Il n'est guère possible de dormir. Les 
    repas sont pris rapidement. ...

    (le 16 mai) 
    Les allemands sont à Marles à 15 km à l’ouest de notre P.C. Dans les 
    couloirs on parle de résister sur place. La 9 ème armée est passée 
    depuis la veille sous les ordres du Général Giraud. Tous les chefs de 
    bureau font détruire les archives secrètes. Je décide d'en faire autant. 
    Tous les papiers sont brûlés, y compris les documents en réserve. Nous 
    avons la chance d'avoir une chaudière de chauffage central à proximité, 
    ce qui nous permet d'incinérer 200 kg de papier en peu de temps. Les 
    machines à chiffrer sont préparées en vue de leur destruction dès que 
    la défense des issues de Vervins entrera en action. … Sans même avoir 
    le temps de préparer des bagages, l'ordre parvient de partir 
    immédiatement. Chargé du matériel strictement indispensable (machines 
    à chiffrer B-211, C-36, codes, dictionnaires et valises). … Vers 16 
    heures nous apprenons que l’État major de notre armée va s'installer à 
    Bohain. … A peine avons nous reconnu notre local (l’école des filles) 
    que les messages à chiffrer et à déchiffrer arrivent. ... Plus tard 
    j'ai appris que les allemands étaient déjà à Guise. Nous avons donc 
    traversé leurs rangs sans le savoir. Quelle veine. 

    (17 mai) 
    Les officiers sont convoqués par le chef du 1er bureau le Cdt Rousselet 
    (tué au combat ce même jour). Il en emmène une douzaine avec lui, dont 
    Velut et Lauzanne. Sous ses ordres ils doivent assurer la défense de 
    Wassigny agglomération où s'est replié le général Giraud et son échelon 
    avancé. Le Colonel fait un court discours duquel il ressort que la 
    situation est sans issue.  ...Avant de rejoindre mon poste j'ai soin de 
    détruire tout le matériel du chiffre. A coups de marteau et de crosse 
    de fusil, je démolis les B-211 et la C-36 [1]. … Dans la soirée je reçois 
    un compte rendu du Capitaine Velut à Wassigny. Tout va bien me dit-il.
    Avec Lauzanne il continue à chiffrer et déchiffrer des messages. Il ne 
    leur reste plus qu'un seul système sans code qui donne d'ailleurs 
    satisfaction [2]. Nous échangeons des clés qui nous permettront une 
    correspondance chiffrée. La nuit est calme. Dans l'abri proche de mon 
    P.C. je peux prendre quelques heures de repos. 

    (18 mai)
    Dès le jour je reçois un mot du capitaine Houssay. Je dois rejoindre le 
    Q.G. à 7 heures et partir au G.Q.G. à la Ferté sous Jouarre pour y 
    prendre de nouveaux documents du chiffre. Mais bien avant, je suis 
    convoqué par le sous-chef d'Etat Major pour déchiffrer des messages 
    (machine) reçus pendant la nuit. Le déchiffrement est impossible le
    matériel étant détruit. … A peine revenu au Q.G. un message chiffré 
    m'est remis. Je le déchiffre facilement. Le QG de la 9 ème armée doit 
    se porter immédiatement au Catelet à 20 km à l'ouest de Bohain. ...
    Un coup d'œil rapide à la porte qui donne sur la rue et je vois une de 
    nos autos mitrailleuses en feu. La plus près de nous continue à tirer., 
    mais son tir est moins nourri. Un blessé qui meurt aussitôt est 
    transporté sous le porche du café.  … 
    Vers 18 heures le feu cesse subitement et l'on entend des pas lourds, 
    tout près. Que se passe-t-il? Nous en avons bientôt la signification. 
    Au moment où en compagnie du Lt Pochtovick, je me portais à la sortie 
    donnant sur la rue, je me suis trouvé nez à nez avec un soldat allemand, 
    armé jusqu'aux dents, me présentant le canon d'une mitraillette. .... 
    Je suis sorti dans la rue où j'ai rejoins un groupe de quelques 
    officiers qui venaient comme moi d'être "fait prisonniers".

Notes de bas de page:

  • [1] De la phrase “je démolis les B.211 et la C 36.”: on peut en déduire qu'il y avait au moins une B-211 et une seule C-36.
  • [2] Le seul système de chiffrement qu'il leur reste est probablement le système SD23.

4.4 Le point de vue allemand, cryptanalyse

Plusieurs documents TICOM [1] font part de l’échec des cryptanalystes allemands. A priori aucun message chiffré par la C-36 n'a été déchiffré par eux durant cette période. Plusieurs éléments expliquent cet échec. D'abord l'entrée en service tardive de la machine. Ensuite l'utilisation quasiment exclusive de la télégraphie filaire dans la période précédant la percée allemande. Enfin la brièveté de la campagne débutant en mai 1940: les cryptanalystes allemands n'ont pas eu le temps d’élaborer des méthodes d'attaques suite à la capture de machines ou de documents secrets.

Les documents TICOM nous apprennent que justement les allemands ont découvert le fonctionnement de la C-36 et de la B-211 suite à des captures faites durant la campagne de mai 1940 (TICOM I-78 1945, TICOM I-128 1945).

Footnote:
[1] TICOM (Target Intelligence Committee) était un projet allié secret formé à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour trouver et saisir les moyens du renseignement allemand, en particulier dans le domaine de la cryptologie et du renseignement électromagnétique.

Réfèrences

  • ARCSI, 1978. Le 7 mai 1940 (Système indicateur du B-211 et C-36 [anonyme]). Bulletin de l’ARCSI n°6.
  • Bouchaudy, J-F, 2019. Genuine French WWII M-209 cryptograms, Cryptologia, 43:5, 359-371, DOI: 10.1080/01611194.2019.1596180
  • Ribadeau-Dumas, L. 1976. Essai d’historique du chiffre de l’armée de terre, 5ième partie: la guerre 1939-1945, Bulletin de l’ARCSI, Nouvelle série N°4, p33–52
  • SHD – 7 N 4235. 1940. EMA (Etat-major de l'armée) – Section du Chiffre – 1) Organisation du service du chiffre et du service cryptographique aux armées (1919-1939). 2) Chiffrement: étude, plans de chiffrement, machines à chiffrer, surveillance de la correspondance chiffrée (1921-1939). 3) Télégrammes reçus (1921-1940).
  • SHD – 32 N 329 – 1940. 84° D.I.A. 2e bureau – correspondance expédiée et reçue relative au chiffre (sept 90 – mai 1940)
  • SHD – 32 N 431 – 1940. Correspondance expédiée et reçue de la section du chiffre (septembre 1939 - mai 1940)
  • SHD - 1 P 136. 1942. Délégation générale du gouvernement en Afrique française – 1941-1942
  • SHD – 10 P 386. 1945. 4ième Bureau. Collection des télégrammes expédiés et reçus. Novembre 1944-Mai 1945
  • SHD – GR 28 N51. 1940. Groupe d’armée N°3, Etat-Major, 2e Bureau. 1939-1940.

Liens Internet